Entre l’histoire et la légende : les classiques du genre

par Emmanuel de Saint-Laurent.

Dans les rétrospectives historiques, il est très souvent mentionné que les lieux auxquels on s’intéresse ont été le siège d’une principauté plus ou moins nébuleuse. Lupé n’échappe pas aux règles du genre, puisque cette mystérieuse entité est mentionnée dans plusieurs ouvrages anciens. Mais en pratique, rien n’en confirme l’existence ni la réelle importance. La seule certitude reste que la forteresse, sans doute la plus puissante sur le rebord oriental du Pilat, a dû jouer un rôle significatif pendant tout le Moyen-Age.

Autre classique des approches du passé, le séjour des Templiers se traduit généralement par les vestiges d’une commanderie ou, pour le moins, le souvenir d’un trésor aussi considérable qu’introuvable. Dans le cas de Lupé, leurs traces sont un peu plus originales : les minerais extraits à Bourg-Argental transitaient par le castrum dans leur long chemin vers les ports de la Méditerranée. En plus de l’argent et du plomb, il semble que des métaux radioactifs aient figuré dans ces chargements. Au cours de XIIIème siècle, une étrange coupe demeura dans les murs du château. Elle avait le pouvoir de provoquer des brûlures mortelles ou de guérir certaines maladies incurables, dit la chronique, selon la pureté de l’âme de qui trempait ses lèvres – ou plutôt, comme la radiothérapie moderne, en fonction de la manière dont il la serrait.

La troisième composante habituelle des histoires locales tient au pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Innombrables sont les localités traversées par les routes des pénitents, toutes plus remarquables les unes que les autres par l’accueil de leur hôtellerie, la spiritualité de leurs habitants ou la prodigalité de leurs fontaines miraculeuses. Sur ce point, Lupé n’a curieusement retenu l’attention que de rares chroniqueurs. Pourtant, les seigneurs du lieu ont longtemps protégé l’une des routes d’accès au Puy, qui constituait le point de rassemblement de tous les pèlerins venus du nord-est de la France et de l’Europe.

La dernière figure imposée fait intervenir un personnage plus médiocre que réellement énigmatique : le fameux Béranger Saunière, curé de Rennes le Château, dans l’Aude. Il semble bien que le trésor des Wisigoths ou des Cathares, que celui-ci prétendait avoir découvert pour justifier les travaux réalisés dans son église, se résume en fait à la vente en gros de messes par voie de petites annonces.

Saint évêque de Lupé
Saint évêque de Lupé

Cependant, rien ne paraît pouvoir ramener cet ecclésiastique douteux à sa réelle importance. On le voit partout, dans les souterrains effondrés, les chapelles en ruine ou les fresques effacées où l’on croit reconnaître Sainte Marie-Madeleine.

A Lupé, « l’effet Saunière » prend un tour doublement cocasse : d’une part, notre église locale aurait servi de modèle (?) à celle de Rennes le Château, ce qui paraît difficile à soutenir lorsqu’on compare les deux bâtiments ; d’autre part, certains historiographes ont cru reconnaître des saints languedociens dans les sculptures de Jean-Marie Vallot, qui fut naguère le sabotier du village et laissa plusieurs dizaines d’œuvres naïves à la postérité.

Pour conclure ce rapide survol de l’histoire de notre village, il est juste de revenir sur les deux grandes périodes qu’il a connues. La première, à cheval entre le XIIIème et le XIVème, correspond à la période où le royaume de France commence à s’étendre vers l’est. Philippe III le Hardi puis son fils Philippe IV le Bel lorgnent sur la ville de Lyon, qui appartient encore nominalement au Saint-Empire romain germanique. Pour mener à bien cette conquête, ils utilisent volontiers la forteresse de Lupé, proche de la frontière, comme leur base arrière la plus sûre. C’est là qu’ont lieu, notamment avec les Papes du temps, la plus grande part des négociations liées au rattachement de la métropole des Gaules.

Nous avons évoqué plus haut la seconde période faste de Lupé, lorsque la fortune des Grolée et des Rostaing de la Baume permet la transformation de la forteresse moyenâgeuse en une étonnante demeure Renaissance. A cette époque régnait sur les pentes du Pilat la figure troublante de Marguerite de Lupé, héroïne aux visages aussi multiples que les stars féminines de notre siècle.

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