A travers les siècles

par Emmanuel de Saint-Laurent.

Lupé entre pour de bon dans l’histoire vers 1066. À cette date, le seigneur du lieu, Guigue Falasterius (1), commence à faire construire un camp fortifié – ou castrum – sur l’emplacement actuel du château. Plusieurs siècles plus tard, aux alentours de 1420, sa descendante Louise Falatier (le nom s’est francisé dans l’intervalle) apporte le castrum en dot à Gastonnet de Gaste. Chambellan de Charles Ier de Bourbon, comte de Forez, celui-ci obtient de son suzerain le droit de haute justice pour la seigneurie de Lupé.

Plus d’un siècle s’écoule encore, et la lignée s’épanouit dans sa plus belle fleur, Marguerite de Gaste de Lupé, dont les charmes troublent le frère aîné d’Honoré d’Urfé, Anne, au point de lui faire embrasser l’état ecclésiastique. Sur le tard, à vrai dire, et après avoir expérimenté toutes les galanteries de son époque agitée. Il n’empêche, Anne d’Urfé, après avoir couvert sa dulcinée d’une multitude de poèmes et d’élégies enflammées, finit par conclure qu’elle est « ingrate aux vrais amants, trompeuse et peu fidèle, qui faict gloire d’avoir un amy chaque jour ».

Il faut bien reconnaître que Marguerite lui a fait voir du pays. Fiancée avec lui, elle profite de son départ à l’armée de Lorraine pour épouser en 1570 un barbon, Jean d’Apchon, comte ou baron de Montrond. Celui-ci a le bon goût de mourir peu d’années plus tard sous les coups des Protestants (nous sommes en pleines Guerres de Religion), sans postérité, mais en lui laissant toute sa fortune. Quand il l’apprend, Anne reprend vie, mais sa douce Carite, ainsi qu’il l’appelle, se jette dans les bras d’Aymard de Grolée-Mouillon, baron de Bressieu en Dauphiné. Plus riche encore que son prédécesseur.

Vous me direz, voilà beaucoup de tintouin, de particules et de titres pour peu de choses. Double erreur. Primo, ces multiples alliances ont fait des descendants des Falatier des propriétaires terriens particulièrement nantis. La fille de Marguerite et de Grolée épouse vers 1600 Rostaing de la Baume, comte de Suze. Le couple possède au moins cinq châteaux, Lupé, Rochefort et Bressieu en Dauphiné, Montrond en Forez et Suze la Rousse aux confins de la Provence, entre lesquels s’organise une existence fastueuse.

C’est à cette époque prospère que le castrum de Lupé prend sa forme actuelle, à quelques détails près. La forteresse rustique s’est transformée en une luxueuse demeure Renaissance, peut-être selon les plans de Philibert Delorme, architecte de Fontainebleau, des Tuileries et du château d’Anet.

Château de Lupé à la fin du XIXème siècle
Château de Lupé à la fin du XIXème siècle

Secundo, les amours spectaculaires et compliquées de Marguerite de Lupé lui valent une place de choix dans la littérature française. Sous le pseudonyme d’Olimpe, elle est l’une des héroïnes de L’Astrée, chef-d’œuvre d’Honoré d’Urfé (2) et premier roman-fleuve (3) de l’Histoire. Je résume l’intrigue : les parents Lupéandre habitent « sur les confins du Forests, du côté de la rivière du Furan ». Leur fille Olimpe, bergère folâtre et plutôt satisfaite de sa jeune personne, entreprend de séduire le dénommé Lycidas, promis à une autre en mariage. Après avoir « poussé son Amour jusqu’à son but supresme », elle met au monde une petite fille et épouse son galant. Bref, rien de bien renversant, mais à l’époque la collection Harlequin n’existait pas encore.

Après cette apogée de gloire, les La Baume de Suze vivent une lente décrépitude (4). Vers 1720, ils sont pratiquement ruinés et vendent leurs domaines les uns après les autres. Saisi en 1729, Lupé est mis en adjudication judiciaire. Après être passée entre plusieurs mains, la propriété est achetée en 1734 par François Mayol, ci-devant percepteur à Bourg-Argental.

Le nouvel acquéreur se fait aussitôt appeler Mayol de Lupé (5). Sa descendance a laissé peu de traces dans la vie locale, si ce n’est que la paroisse, jusque là desservie par la chapelle castrale, est dotée en 1883 de l’église que nous connaissons aujourd’hui (6). Au début du siècle dernier, la lignée disparaît en léguant ses biens aux religieuses de St Joseph, lesquelles s’empressèrent d’aménager l’intérieur à leur manière. Depuis qu’elles lui ont revendu le château, le nouveau propriétaire s’emploie avec courage à redonner aux aîtres leur apparence des époques antérieures.

Un dernier épisode de l’Histoire de notre village doit être signalé, même s’il n’ajoute pas grand-chose à notre gloire collective. Durant la seconde guerre mondiale, un certain Monseigneur Mayol de Lupé est aumônier d’une compagnie française de S.S. relevant de la division Charlemagne. Revenu entier de Russie, il a quelques démêlés avec la Justice après la Libération. Probablement considéré comme illuminé plus que comme criminel de guerre, il ne paie ses errements que de quelques séjours à l’ombre dans les années cinquante. Son tombeau massif, planté au beau milieu du cimetière de Lupé, ne présente d’intérêt ni artistique ni historique. Malgré tout, il est difficile de ne pas le voir.

(1) Cartulaire du monastère de Saint-Sauveur-en-Rue
(2) Urfé, de la racine germanique « Wolf », loup. Plus loin, Lycidas, du grec « lycos », également loup. Dans L’Astrée, Lupus lupum fricat.
(3) En soixante volumes écrits petit, publiés au début du XVIIème siècle.
(4) Avec beaucoup de clairvoyance, les La Baume de Suze ont pour devise « à la fin, tout s’use ».
(5) Voire, au cours du XIXème siècle, « de Mayol de Lupé », suivant en cela l’inflation de particules propre à l’époque .
(6) A laquelle s’ajoute un chemin de croix montant jusqu’au calvaire de la route de Maclas. Les statues ayant disparu depuis belle lurette, il n’en reste que les stalles de pierre taillée.

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